dimanche 26 mai 2013

Bords de Seine

Méandreuse Seine dont le lit fut mon berceau
Longtemps avant que ne te polluent les effluents
J'ai joué sur tes quais entre Bercy et Alma Marceau
Et plongé dans les bras de la Marne, ton affluent.

Bien avant que nous séparent les années noires
Où les méchants m'arrachèrent à tes belles rives
Au jardin des Tuileries j'allais courir sur la patinoire
Avant de connaître Drancy et la rafle du Vel d'Hiv.

C'est sur les arches de tes ponts, entre Tolbiac et Mirabeau,
En déambulant au dessus de tes reflets changeants
Que pour la première fois j'ai eu le cœur en lambeaux
Lorsque tu mettais sur les boucles d'Hélène des halos d'argent.

Bien que j'aie quitté tes berges pour celles du Jourdain
Parce que des hommes en uniforme, au temps de ma déveine
M'ont brutalement chassé de tes sites avec haine et dédain
Fleuve que j'aime, toujours tu coules dans mes veines.

Arcole, Grenelle, Iéna, Bir-Hakeim, ponts de ma ville
Je garde de vous à jamais un souvenir indélébile
Et du fond de ma solitude et de mon inéluctable exil
Je vous dis l'affection que pour vous ma nostalgie distille.

– Poème de Michaël Adam

mercredi 8 mai 2013

La chambre vide

Depuis cinq mois, la chambre neuve attend Romaine.
O chers babils ! comme vous serez bienvenus.
Du berceau qui languit semaine après semaine,
Monte un amour plus saint que tous les dons connus.

Son petit nom choyé sonne telle une gloire ;
D’une aube à l’autre, il est le seul qu’on veut ouïr.
La layette déborde aux recoins de l’armoire
Et maint jouet rêve à ses doigts pour l’éblouir.

Pâle, songeuse, ouvrant des lendemains féeriques,
La blonde mère agite un arc-en-ciel de vœux.
Même les coups reçus lui parlent d’Amériques
Où galopent ces mots : "je la veux, je la veux".

Le père à moitié fou câline son beau ventre.
Quel doux miracle ! A qui va-t-elle ressembler ?
De tout, elle est l’écho, de tout, elle est le centre,
L’ineffable Romaine ardente à s’envoler.

Le soir les rend confus de chaudes griseries,
Le matin virginal se colore de chants ;
Et par-delà le monde, avec des mains fleuries,
L’enfant jette à leur cou ses menus bras touchants.

-

Mais la mort frappe aussi les chérubins sans âge.
Aucun cri n’est venu resplendir ce jour-là.
La maison endeuillée a changé de visage.
Leurs yeux, leurs pauvres yeux ont perdu tout éclat.

Ils n’entendront jamais son gazouillis céleste.
Le destin fourbe et sot l’a prise en criminel.
Au bout de tant d’amour, comme tombe, il ne reste
Que cette chambre vide au silence éternel.

- Poème de Thierry Cabot, extrait de La Blessure des mots