mardi 29 janvier 2008

Plus loin sur le chemin le moins fréquenté (Scott Peck)

« Le courage, c’est la volonté de dominer sa peur, de dominer la souffrance. Ce n’est qu’après, quand on s’est forcé à franchir cet obstacle, que l’on se sent plus fort et qu’on avance à grands pas vers la maturité. »

« Affronter la souffrance existentielle, la surmonter par tout un travail personnel, tel est notre lot, telle est la seule manière de progresser dans notre désert. »

« La plupart du temps, le mieux n’est pas de tenter d’effacer la souffrance de l’autre, mais de rester avec lui, de la partager. Il faut apprendre à écouter, à supporter la souffrance d’autrui. »

« C’est pour son propre bien que l’on doit pardonner. Pour son équilibre. »

« Penser ainsi à la mort (...) apporte l’amour de la vie, car notre fin nous paraît familière ; nous considérons chaque jour comme un don, et c’est alors que cette vie, petit à petit, nous devient très précieuse. »

« Nous sommes sur terre pour apprendre. Tous les événements, heureux ou malheureux, qui nous arrivent font partie de cet apprentissage. Mais c’est la mort qui est la matière principale, qui nous apprend le plus. »

« Progressivement, on abandonne ce narcissisme, cet amour de soi, c’est la preuve d’une vie spirituelle saine. L’échec de cette évolution se révèle extrêmement destructeur... »

« Il est bien plus astucieux de regarder le plus tôt possible la mort en face, en évitant de se prendre pour un objet précieux. Certes, nous n’arrivons jamais à éliminer réellement notre narcissisme, mais plus nous combattons pour le vaincre, plus nous sommes capables de surmonter notre peur de la mort. »

« (...) nous sommes capables de détacher les yeux de notre petite personne, de voir les autres, enfin, de les aimer. Oui, nous sommes alors capables de donner de l’amour. »

« Plus nous nous adaptons à la réalité, mieux nous nous débrouillons dans la vie. »

« L’une des caractéristiques des gens les moins équilibrés, les moins mûrs, c’est leur manque d’intérêt pour le mystère, leur manque de curiosité. Autre symptôme de la maladie mentale, la volonté de certains de vouloir toujours et tout le temps trouver une explication à l’inexplicable, quitte à bâtir de toutes pièces des systèmes incohérents. »

« La curiosité, le goût du mystère sont, en revanche, une grande preuve de santé mentale. Quelqu’un de très sain s’intéresse à tout, du rayon laser à la poésie, des mantes religieuses à l’astronomie. Mais ces gens-là sont rares. La plupart des êtres humains restent à mi-chemin entre la folie et la raison, entre l’apathie et la curiosité. Notre goût du mystère, s’il ne dort pas tout à fait, somnole en permanence. »

« L’humilité, la vraie, est toujours réaliste. (...) Arriver à se voir tel qu’on est, avec réalisme donc, reconnaître ses défauts et ses qualités est une démarche très ardue. »

« Ce "Moi" se traduit plutôt par un vrai respect de soi-même, un grand sens des responsabilités, une volonté de bien se connaître. Si l’on ne s’aime pas soi-même, on ne peut pas aimer les autres. C’est cela l’amour de soi. »

« Mais, tout en ayant conscience de sa propre imperfection, il faut simultanément avoir conscience de sa valeur, il faut s’aimer. Car c’est par le travail sur soi-même que l’on progresse, que l’on devient meilleur. »

« Je ne connais pas de mythe qui symbolise aussi bien le passage de la maladie mentale à la guérison. Le prix à payer, pour cette métamorphose, c’est d’assumer la responsabilité de ses actes. »

« J’ai rencontré, dans mon travail, nombre de gens consacrant leur vie à se souvenir de leur passé, à regarder en arrière, figés dans la nostalgie, incapables de progresser, véritables statues de sel. »

« (...) nous ne sommes pas obligés de vieillir intellectuellement. Pour le physique, bien sûr, la dégradation reste inexorable, nous finirons tous par mourir. Notre pensée, au contraire, possède une aptitude permanente à innover, à apprendre, à se rajeunir. »

« Ce n’est pas par hasard qu’on appelle "spiritueux" les liqueurs fortes. Les alcooliques sont des gens qui ont une grande soif de spiritualité. Ils sont victimes d’un trouble spirituel. »

« (...) la santé mentale, quel que soit le sexe, ce n’est pas d’éviter les crises, mais savoir les prévoir, y faire face suffisamment tôt, afin de mieux aborder la suivante et ainsi surmonter le plus de crises possible au cours de sa vie. »

« (...) ce que dit un patient est moins important que ce qu’il fait. S’il parle librement du présent ou de l’avenir, on peut être sûr qu’il a un blocage au niveau de son passé. S’il n’arrive pas à évoquer sa situation présente, c’est qu’il ne sait pas la gérer. Enfin, quand il a un mal fou à parler de son futur, c’est qu’il a un problème avec l’espoir et la foi. »

« (...) les dépressifs ne sont jamais sereins. Ils se flagellent en permanence, ... non sans "excès de scrupules". Excès qui est surtout un péché d’orgueil. Au fond, ces gens pensent : « Dieu me pardonne, mais c’est moi qui me juge ». Derrière la pellicule d’humilité, on trouvera très vite arrogance et narcissisme. Les déprimés, de manière générale, ne perçoivent pas le monde comme les autres. Ils ne peuvent voir que les mauvais côtés des choses et jamais le positif. »

« Traiter les dépressifs, c’est leur apprendre une autre manière de voir le monde, en les aidant à trouver ce qui est positif, pour qu’ils comprennent qu’une peinture qui s’écaille sur la façade, ça peut être très joli. »

« (...) la vie, c’est ce qui se produit alors qu’on avait prévu autre chose. Dieu merci ! »

« (...) quand il y a une décision à prendre, il ne faut pas rejeter une des solutions possibles sous prétexte qu’elle représente un sacrifice. »

« Jung a dit que le véritable objectif de l’évolution psycho-spirituelle était l’individuation, la capacité à se séparer de ses parents, à se donner une pensée autonome. Bref, à devenir des êtres indépendants, capables de diriger eux-mêmes leur bateau. Mais l’individualisme primaire néglige l’autre face dont Jung a également parlé : la connaissance de nos limites, notre fragilité et notre interdépendance vis-à-vis du reste de l’humanité. »

« Que vaut la foi si elle ne se traduit pas en action ? demandait Gandhi »

– Citations choisies par Chartrand Saint-Louis, puisées dans le livre de Scott PECK, Plus loin sur le chemin le moins fréquenté, Paris : Laffont, 1995

mercredi 16 janvier 2008

Psychopathologie de la vie quotidienne
(Sigmund Freud)

« En résumé, les conditions nécessaires pour que se produise l’oubli d’un nom avec fausse réminiscence sont les suivantes : 1) une certaine tendance à oublier ce nom ; 2) un processus de refoulement ayant eu lieu peu de temps auparavant ; 3) la possibilité d’établir une association extérieure entre le nom en question et l’élément qui vient d’être refoulé. Il n’y a probablement pas lieu d’exagérer la valeur de cette dernière condition, car étant donnée la facilité avec laquelle s’effectuent les associations, elle se trouvera remplie dans la plupart des cas. »

« (...) où l’oubli se met au service de notre prudence, lorsque nous sommes sur le point de succomber à un désir impulsif. L’acte manqué acquiert alors la valeur d’une fonction utile. Une fois dégrisés, nous approuvons ce mouvement intérieur qui, pendant que nous étions sous l’emprise du désir, ne pouvait se manifester que par un lapsus, un oubli, une impuissance psychique. »

« Le mécanisme de l’oubli des noms est aussi intéressant que ses motifs. Dans un grand nombre de cas, on oublie un nom, non parce qu’il éveille lui-même les motifs qui s’opposent à sa reproduction, mais parce qu’il se rapproche par sa consonance ou sa composition, d’un autre mot contre lequel notre résistance est dirigée. »

« Le mécanisme de l’oubli de noms (ou, plus exactement, de l’oubli passager de noms) consiste dans l’obstacle qu’oppose à la reproduction voulue du nom, un enchaînement d’idées étrangères à ce nom et inconscientes. Entre le nom troublé et le complexe perturbateur, il peut y avoir soit un rapport préexistant, soit un rapport qui s’établit, selon des voies apparemment artificielles, à la faveur d’associations superficielles extérieures. »

« Les souvenirs d’enfance indifférents doivent leur existence à un processus de déplacement ; ils constituent la reproduction substitutive d’autres impressions, réellement importantes, dont l’analyse psychique révèle l’existence, mais dont la reproduction directe se heurte à une résistance. Or, comme ils doivent leur conservation, non à leur propre contenu, mais à un rapport d’association qui existe entre ce contenu et un autre, refoulé, ils justifient le nom de « souvenirs-écrans ». »

« Dans l’oubli de noms, la mémoire fonctionne, mais en fournissant des noms de substitution. Dans le cas de souvenirs-écrans, il s’agit d’un oubli d’autres impressions, plus importantes. Dans les deux cas, une sensation intellectuelle nous avertit de l’intervention d’un trouble dont la forme varie d’un cas à l’autre. »

« (...) nous n’arrivons à la découverte de l’élément perturbateur qu’à travers une chaîne d’associations complexe, en partant des idées qui viennent à l’esprit du sujet lorsque nous l’interrogeons. »

« Nous nous trouvons d’abord en présence d’une condition positive, qui consiste dans la production libre et spontanée d’associations tonales et verbales provoquées par les sons énoncés. À côté de cette condition positive, il y a une condition négative, qui consiste dans la suppression ou dans le relâchement du contrôle de la volonté et de l’attention, agissant, elle aussi, comme fonction volitive. »

« Or, il arrive souvent que l’idée qui s’exprime dans le lapsus soit précisément celle qu’on veut refouler...  »

« Le lapsus devient ici un moyen d’expression mimique ; il sert d’ailleurs souvent à exprimer ce qu’on ne voulait pas dire, à se trahir soi-même. »

« Par une coïncidence favorable, les mots du langage peuvent occasionnellement déterminer des lapsus qui vous bouleversent comme des révélations inattendues ou produisent l’effet comique d’un mot d’esprit achevé. Tel est, par exemple, le cas observé et communiqué par le Dr Reitler : « Votre chapeau neuf est ravissant, dit une dame à une autre, sur un ton admiratif ; c’est vous-même qui l’avez si prétentieusement orné ? »

« (...) un lapsus se produit facilement, lorsqu’on s’efforce de réprimer des mots injurieux. Il constitue alors une sorte de dérivatif. »

« (...) c’est le conflit intérieur qui nous est révélé par le trouble de la parole. »

« Une manière d’écrire claire et franche montre que l’auteur est d’accord avec lui-même, et toutes les fois où nous rencontrons un mode d’expression contraint, sinueux, fuyant, nous pouvons dire, sans risque de nous tromper, que nous nous trouvons en présence d’idées compliquées, manquant de clarté, exposées sans assurance, comme avec une arrière-pensée critique. »

« (...) la déformation de noms signifie très souvent le mépris, ainsi que je l’ai fait remarquer à propos des lapsus. »

« La déformation du nom est une expression d’hostilité interne...  »

« (...) un lapsus : un trouble de l’attention produit par l’intervention d’une idée étrangère, extérieure. »

« L’habileté inconsciente avec laquelle des motifs inconscients, mais puissants, nous font égarer un objet, ressemble tout à fait à l’assurance somnambulique. »

« Il est deux situations dans la vie où le profane lui-même se rend compte que l’oubli de projets n’est nullement un phénomène élémentaire irréductible, mais autorise à conclure à l’existence de motifs inavoués. Je veux parler de l’amour et du service militaire. Un amoureux qui se présente à un rendez-vous avec un certain retard aura beau s’excuser auprès de sa dame en disant qu’il avait malheureusement oublié ce rendez-vous. Elle ne tardera pas à lui répondre : « Il y a un an, tu n’aurais pas oublié. C’est que tu ne m’aimes plus. » (...) Certes, la dame n’exclura pas toute possibilité d’oubli ; elle pensera seulement, et non sans raison, que l’oubli non intentionnel est un indice presque aussi sûr d’un certain non-vouloir qu’un prétexte conscient. »

« Ces personnes oublient toutes les petites promesses qu’elles ont faites, ne s’acquittent d’aucune des commissions dont on les a chargées, se montrent peu sûres dans les petites choses et prétendent qu’on ne doit pas leur en vouloir de ces petits manquements qui s’expliqueraient, non par leur caractère, mais par une certaine particularité organique. Mais je crois pouvoir dire par analogie qu’il s’agit d’un degré très prononcé de mépris à l’égard d’autrui, mépris inavoué et inconscient, certes, et qui utilise le facteur constitutionnel pour s’exprimer et se manifester. »

« La convoitise primitive du nourrisson qui cherche à s’emparer de tous les objets (pour les porter à sa bouche) ne disparaît, d’une façon générale, qu’incomplètement sous l’influence de la culture et de l’éducation. »

« Tomber, faire un faux pas, glisser - autant d’accidents qui ne résultent pas toujours d’un fonctionnement momentanément et accidentellement défectueux de nos organes moteurs. Le double sens que le langage attribue à ces expressions montre d’ailleurs quelles sont les idées dissimulées que ces troubles de l’équilibre du corps sont susceptibles de révéler. »

« Il arrive souvent dans la rue que deux passants se dirigent en sens inverse et voulant chacun éviter l’autre, et céder la place à l’autre, s’attardent pendant quelques secondes à dévier de quelques pas, tantôt à droite, tantôt à gauche, mais tous les deux dans le même sens, jusqu’à ce qu’ils se trouvent arrêtées l’un en face de l’autre. Il en résulte une situation désagréable et agaçante, et dans laquelle on ne voit généralement que l’effet d’une maladresse accidentelle. Or, il est possible de prouver que dans beaucoup de cas cette maladresse cache des intentions sexuelles et reproduit une attitude indécente et provocante d’un âge plus jeune. »

« (...) il existe, à côté du suicide conscient et intentionnel, un suicide mi-intentionnel, provoqué par une intention inconsciente, qui sait habilement utiliser une menace contre la vie et se présenter sous le masque d’un malheur accidentel. (...) Les mutilations volontaires représentent, en général, un compromis entre cette tendance et les forces qui s’y opposent et, dans les cas qui se terminent par le suicide, le penchant à cet acte a dû exister depuis longtemps avec une intensité atténuée ou à l’état de tendance inconsciente et réprimée. »

« (...) une maladresse accidentelle et une insuffisance motrice peuvent ainsi servir à certaines personnes de paravents derrière lesquels se dissimule la rage contre leur propre intégrité et leur propre vie. »

« Les actes accidentels ou symptomatiques se rattachant à la vie conjugale ont souvent la plus grande signification et peuvent inspirer la croyance aux signes prémonitoires à ceux qui ne sont pas familiarisés avec la psychologie de l’inconscient. Ce n’est pas un bon début, lorsqu’une jeune femme perd son alliance au cours du voyage de noces ; il est vrai que le plus souvent l’alliance, qui a été mise par distraction dans un endroit où on n’a pas l’habitude de la mettre, finit par être retrouvée. »

« « L’alliance dans la poche du gilet », telle est la recommandation qu’un proverbe populaire adresse au mari qui se propose de tromper sa femme. »

« Très souvent, la perte de l’objet témoigne seulement du peu de prix qu’on attache à celui-ci ou du peu d’estime qu’on a pour la personne de qui on le tient ; ou encore, la tendance à perdre un objet déterminé vient d’une association d’idées symbolique entre cet objet et d’autres, beaucoup plus importants, la tendance se trouvant transféré de ceux-ci à celui-là. »

« La tendance à chercher, inconsciente, peut plus facilement aboutir à un résultat positif que l’attention consciemment orientée. »

« C’est là le châtiment pour notre manque de sincérité intérieure : sous le masque de l’oubli et de la méprise, en invoquant pour leur justification l’absence de mauvaise intention, les hommes expriment des sentiments et des passions dont ils feraient bien mieux d’avouer la réalité, en ce qui les concerne aussi bien qu’en ce qui concerne les autres, dès l’instant où ils ne sont pas à même de les dominer. »

« La force psychique de la haine est plus grande que nous le croyons. »

« (...) c’est l’ignorance qui serait le contraire d’une erreur de mémoire. »

« Ce qui me distingue d’un homme superstitieux, c’est donc ceci : Je ne crois pas qu’un événement, à la production duquel ma vie psychique n’a pas pris part, soit capable de m’apprendre des choses cachées concernant l’état à venir de la réalité ; mais je crois qu’une manifestation non intentionnelle de ma propre activité psychique me révèle quelque chose de caché qui, à son tour, n’appartient qu’à ma vie psychique ; je crois au hasard extérieur (réel), mais je ne crois pas au hasard intérieur (psychique).  »

« Égoïsme, jalousie, hostilité, tous les sentiments et toutes les impulsions comprimées par l’éducation morale, utilisent souvent chez l’homme le chemin qui aboutit à l’acte manqué, pour manifester d’une façon ou d’une autre leur puissance incontestable, mais non reconnue par les instances psychiques supérieures. »

« (...) entre l’état nerveux normal et le fonctionnement nerveux anormal, il n’existe pas de limite nette et tranchée et (que) nous sommes tous plus ou moins névrosés. »

– Freud, Sigmund, Psychopathologie de la vie quotidienne, Paris : Payot, 1984 (collection « Petite bibliothèque Payot » ; 97)