dimanche 27 janvier 2013

L’empathie

Plusieurs personnes confondent l’empathie avec la sympathie. Pourtant, il y a beaucoup de différence entre les deux. L’empathie signifie ressentir « dans » tandis que la sympathie signifie ressentir « avec ». Dans l’empathie, les personnes impliquées vivent la même expérience, alors que dans la sympathie, les personnes impliquées sont proches, mais chacune vit sa propre expérience. L’empathie est toujours orientée vers l’autre et elle a pour objectif le mieux-être de l’autre.

Par opposition, la sympathie vise à avoir une meilleure compréhension de ce que l’autre ressent. En résumé, la sympathie admet que l’on souffre avec l’autre, mais elle ne nous rapproche jamais véritablement. Avec l’empathie, au contraire, on sait qu’il est impossible de connaître vraiment l’autre sans aller plus loin, sans écouter attentivement, sans comprendre véritablement, sans pénétrer le coeur de l’autre.

La sympathie consiste à partager la peine de l’autre tandis que l’empathie exige une grande attention vis-à-vis des besoins de l’autre. Cette attention permet de comprendre l’autre et fait en sorte que s’établisse un climat de confiance. C’est par une grande écoute que l’on obtient les renseignements permettant de s’ouvrir à l’empathie. Combien de gens recherchent avant tout une oreille attentive ? Le seul fait de parler de leurs problèmes leur procure un sentiment de mieux-être.

L’empathie s’exprime dans l’action. Si on demeure passif, inactif, incapable de se libérer de l’émotion pour passer à l’action, on empêche l’empathie de suivre son cours, car celle-ci est toujours orientée vers l’action. Étant donné que chaque personne, chaque situation sont uniques, l’empathie exige de demeurer alerte et lucide. Si on démontre de la nonchalance, l’empathie ne peut s’exprimer, car une attention soutenue lui est indispensable.

Apprendre à exprimer notre empathie requiert une bonne conscience de soi, un esprit ouvert, du discernement et de la pratique. Pour faciliter cet apprentissage, il est nécessaire de poser les bonnes questions et d’éviter les jugements hâtifs. Les questions pertinentes doivent être empathiques. En posant les bonnes questions, on transmet notre désir d’apprendre de l’autre ainsi que notre intérêt vis-à-vis des besoins. Pour orienter l’échange, il faut laisser de côté notre désir de tout contrôler. On laisse à l’autre le choix de la direction à prendre.

De toutes les qualités qu’exige l’empathie, c’est l’écoute qui demande le plus de concentration, car les distractions sont nombreuses. On n’écoute souvent que d’une oreille en attendant notre tour de parler, quand on ne coupe pas la parole, tout simplement. L’écoute empathique requiert qu’on laisse de côté une vision du monde centrée sur soi-même. L’écoute empathique pénètre le coeur de l’autre et fait émerger ce que la peur, la colère, le désespoir ont enfoui profondément.

L’empathie est agissante. Elle accroît la conscience de soi, consolide nos rapports interpersonnels et nous aide à comprendre des gens qui, au premier abord, pourraient nous sembler étranges ou antipathiques. En élargissant notre perception, l’empathie nous dévoile l’extraordinaire complexité de la vie. Il existe de nombreuses façons d’être qui traduisent l’empathie. Citons l’honnêteté, l’humilité, l’acceptation, la tolérance, la gratitude, l’espoir et le pardon. C’est en faisant l’expérience de ces expressions qu’on prend conscience de notre capacité à forger des liens étroits avec les autres.

L’honnêteté est l’âme de l’empathie, son oxygène, son souffle vital. Sans l’honnêteté, l’empathie perd sa raison d’être. En effet, comment pourrait-on avoir des relations empathiques avec les autres sans être sincère avec eux ? Si on n’est pas sincère, comment exiger que les autres le soient ? L’empathie et le respect sont interdépendants. L’empathie ne peut exister sans le respect de l’autre et le respect ne peut exister sans l’empathie. Grâce à l’empathie, nous ressentons ce que les autres ressentent et cette capacité est la base même de l’empathie.

Le respect et l’empathie exigent de l’honnêteté, un dialogue ouvert, une attention constante, une écoute entière et une sincère volonté d’apporter notre soutien. Lorsque nous comprenons les pensées et les sentiments des autres, le caractère unique de ce qu’ils vivent nous inspire un grand respect. Sans la compréhension et la participation active qu’exige l’empathie, l’amour véritable n’est qu’une construction distraite et vide. L’empathie seule sait lui donner tout son poids. L’empathie est la substance de l’amour ; elle est son coeur qui bat, son âme qui cherche, sa raison d’être.

Référence :

Ciaramicoli, Arthur P. et Katherine Ketcham, Le pouvoir de l’empathie : un antidote à la solitude, Montréal : Éditions de l’homme, 2000

vendredi 4 janvier 2013

Comme une empreinte de la misère

C'était c’t’odeur…
aux urgences, Kremlin-Bicêtre.
Les pompiers v’naient d’y déposer ma femme
qu’avait eu comme qui dirait un malaise pendant une prise de sang.
Un truc solide quoi.
Dans l’LAM, y flippaient un peu, voyez ?
Alors j’tais là dans la salle d’attente quoi,
à attendre justement,
attendre c’que l’toubib de garde allait bien pouvoir dire.
Enfin faire surtout !
C’tait quoi s’t’embrouille affublée d’vagale ? Hein ?
Pas anxieux, mais inquiet j’étais. Ça oui !
On m’avait r’foulé du box. Sévère le renvoi
« Z’avez rien à faire là… » qu’elle avait dit la nurse cynique
dont le haut de la blouse trop serrée baillait large…
et pas aux corneilles, ça non !
Alors j’tais là, à attendre, avec c’t’odeur quoi.
Insidieuse. Pas franche pour un brin. Voyez ?
Rien à avoir avec l’éther. On dit souvent qu’l’hosto ça pue l’éther
et la mauvaise soupe.
La soupe, passons…aux urgences c’est pas trop l’truc…
Et l’éther j’m’en fous, j’en ai tellement r’niflé quand j’bossais.
Pas des shoots façon grands romantiques en manque d’inspiration hein,
non, juste l’boulot.
Dans un labo d’chimie. Un grand bazar. Ça oui…Bref !
Non, là, c’tait pas chimique du tout, foi d’pro comme qui dirait
Pas miasme d’hosto non plus…
Non, c’tait plutôt… r’mugle…un brin reptilien faisandé…
animal quoi.
Mais difficile à dire. C’tait un mélange.
Sans putrescine ni cadavérine, ça j’connais ; l’boulot toujours.
‘’Chromato sur pif’’ qu’on m’appelait pour s’foutre gentiment d’moi !
Alors les odeurs, vous pensez…
Mais là, rien. Enfin, rien d’bien net.
Du pas net du tout d’ailleurs.
( Oui d’accord, c’est pas drôle… désolé ! )
Mais ça vous l’aviez d’jà compris d’puis un bail, non ?
Bon, donc en clair, ça pue, ça fouette, ça chlingue, ça routmouke… mais dur…
et dur, c’est rien de l’dire quoi…
fau’y’être pour en saisir l’essence du propos !
Et dans c’te salle d’attente, un brin crade,
y’avait rien à feuilleter pour briser la pendule. Rien !
Pas une revue
même vieille de dix ans, complètement froissée,
pages de r’cettes envolées au grès de cuisinières complices,
r’vue froissée et déchirée d’être passée par trop de mains angoissées.
Rien, que dalle, nada… attendre, juste. Attendre !
Tête dans les mains, coudes sur les g’noux…
Avec l’odeur.
A regarder dans le couloir le ballet anonyme des blouses blanches et vertes,
avec ou sans masques assortis,
sabots ou sacs en plastique aux pieds,
pauvre théâtre d’ombres des marionnettes-auriges
de la vie et de la mort-
autoproclamées thaumaturges.
A suivre aussi la ronde des ambulances et des voitures de pompiers
avec leurs lots de brancards décorés ou non de perfusions…
ça n’arrête pas
et c’est dans l’creux d’la s’maine !!!
Imaginez l’week-end …
On se distrait comme on peut !
Mais ça puait toujours.
Eux, les blouses, i’semblaient pas r’marquer, ou alors…
Z’étaient doués à c’jeu là.
Enfin moi, ça commençait…
Alors j’ai cherché.
Coup d’œil à droite… à gauche…
Rien d’probant dans la ligne de mire.
Restait derrière.
M’enfin c’est un peu gênant de s’retourner tout à trac pour zieuter. Quoique…
Alors j’l’ai fait… et j’suis tombé, néfaste, nez face à l’odeur.
C’tait mon voisin d’dossier.
J’avais la pire place rapport à l’évènement.
I’chlingait, impensable. De face pire que d’dos.
Et là, j’l’ai r’connu l’manchot.
Un vrai manchot, toujours à balancer sa manche molle,
Un mec qu’habite dans mon quartier,
j’sais pas bien où au juste,
mais j’sais que j’le vois souvent su’ l’trottoir d’en face
en route pour la superette de la rue Cézanne.
Même chez Adel, l’boulanger qui lui r’file gratos du pain d’la veille
et pas pour ses lapins, faut bien comprendre.
I’a même sa compagne qui vient parfois.
E’ trottine derrière lui,
été comme hiver dans un trois quart en poil de chameau et un fichu sur la tête.
Alors elle, c’est l’urine qu’elle sent…la macération, pas d’ambiguïté !
Quand elle est là, tout l’monde fait la moue, souffle au plafond et tourne la tête.
Lui, ça passe plus inaperçu dans l’courant des jours.
Mais là, vache de mouche !
Enfin non, des mouches y’en a pas encore mais…
Alors j’suis là, j’le r’garde par au-dessus
et d’un coup, j’la vois elle sortir d’un box.
I’ont mis l’bras droit dans l’plâtre.
( là j’me dis, ls v’là tous les deux manchots !
et i’a pas d’quoi rire, ça non…)
Elle, e’s’est mis’ aussi la tête au carré.
Elle a un d’ces cliques…et un gros sparadrap sur l’front
Alors lui, i’s’lève et quand i’s’tourne,
j’vois qu’lui aussi il a du maquillage aux yeux.
Rien n’sert de supputer, z’êtes d’accord.
C’est comme ça !
Et les v’là r’partis bras d’ssus bras d’ssous…
Exit les urgences…
C’est l’moment qu’choisit la nurse cynique pour m’appeler
et m’dire qu’ma femme elle a rien ;
quelle a r’fait surface ;
qu’i’z’iont rien trouvé, mais…
Mais qu’fau’aller voir no’t’e médecin référent
sans trop tarder
pour faire des analyses poussées.
« Faut qu’on comprenne » qu’e’m’dit
en m’tendant une liasse de papelards
« c’est pour la caisse ! »
et pfuittt, elle remballe son décolleté et e’s’tire vers un aut’ box,
une aut’ misère en somme.
J’récupère ma femme.
Elle jouerait pas à saute-moutons, mais elle va.
On s’dirige vers la sortie…

Et toujours c’t’odeur !
… comme une empreinte de la misère…

– Nouvelle de Jean-Louis MILLET