Verts comme vifs. Verts comme vivants. Verts comme veilleurs. Verts comme écolo... Ainsi qualifierais-je Edward Burtynsky, photographe canadien, traqueur d’images de l’impact des hommes sur la nature.
Je l’ai découvert dans une revue d’art française avec des photos rapportées de Chine. Toutes montraient le gigantisme et la standardisation à l’œuvre au cœur des cités nouvelles comme dans les usines. Après avoir vu ceci, l’invasion du marché occidental par les produits chinois devenait une simple évidence, un fait inéluctable.
Plus récemment, j’ai pu voir certaines de ses photos sur le thème des carrières à ciel ouvert. J’ai été accroché par les vues de Carrare en Italie, haut lieu du marbre blanc, site et matériau cher à l’un des géants de l’art de la Renaissance florentine, Michelangelo Buonarroti. Les excavations présentées étaient gigantesques et montraient des fronts de taille d’une très grande rigueur rectiligne. Prises du dessus, elles semblaient issues du dessein - ou dessin qui sait ? - d’un maître de l’abstraction. Sur l’une des photos, une sorte de rebus de blocs informes et de "restes" industriels. J’imaginais le Florentin réclamant contre toute attente l’un de ces blocs déchus comme il l’avait fait cinq siècles plus tôt et lui donner vie en un nouveau David de génie.
D’autres carrières étaient présentées, notamment celles de Barre dans le Vermont et de Makrana au Rajasthan, montrant la transformation catastrophique apportée à l’environnement par un travail d’exploitation des ressources naturelles conduit sans le moindre respect de la nature.
Curiosité à vif, j’ai cherché sur le web le site du photographe (1). Et là, j’ai été confronté à des séries de photos envoûtantes, d’une grande beauté formelle jusque et y compris dans la description de décharges où nous, humains, laissons traîner nos déchets, pneus et vieux métaux, méga-poubelles qualifiées de "Urban Mines" par l’artiste, ou bien encore dans celle des chantiers navals ( série "Ships" ), des champs pétrolifères ( série "Oil" ) ou encore du projet colossal des Trois Gorges en Chine .... Autant de dénonciations de notre incurie.
La cinéaste Jennifer Baichwal (2) a suivi Edward Burtynsky dans son déplacement en Chine et en a tiré un documentaire "Manufactured Landscapes" (3).
N’ayant pas eu l’occasion de voir ce film en France, j’ai demandé à Chartrand Saint-Louis qui avait assisté à sa projection au Canada ce qui en ressortait.
« Ce documentaire montre avec quelle frénésie la Chine se modernise et saccage son environnement. Cela laisse entrevoir clairement que les efforts pour freiner les émissions de gaz à effet de serre vont être pratiquement "annulés" par ces sociétés en émergence, la Chine et l’Inde, dont les besoins énergétiques sont énormes et sans cesse croissants. Il est évident qu’elles ne vont pas stopper leurs objectifs de développement. Les pronostics étaient déjà si alarmants. Il y a longtemps qu’il aurait fallu prendre des mesures pour restreindre les transports (gros pollueurs) et agir sur bien d’autres fronts. Rien ne va assez vite. À la fin de la projection, je me demandais : va-t-on s’en sortir ? Devant tant d’inconsciences, tant de tergiversations, il semble qu’on ne puisse que baisser les bras. D’un autre côté, à l’égard de cette menace gigantesque (la dégradation fulgurante de l’environnement), on est amené à relativiser ses "petits ennuis". Ça nous ramène à l’essentiel et nous éloigne des futilités... qui sont légion. » (4)
J’ai senti la nécessité de répondre en ces termes.
« Je comprends pleinement que l’on soit choqué par l’attitude des Chinois ou des Indiens vis-à-vis de l’environnement et je le suis moi-même... parfois ! Mais...
Mais l’Occident ne peut leur jeter la pierre, encore moins se dresser en grand gardien du bien de tous. Pour cela, il nous aurait fallu être irréprochables par le passé, car seule l’exemplarité peut porter, comme je l’exposais en son temps dans une réflexion sur les droits de l’homme et leurs perceptions en Europe et en Asie : « Droits de l’Homme... peut-on concilier des cultures opposées ? » (5) Nous récoltons aujourd’hui ce qu’hier nous avons semé dans ces pays alors assujettis. Notre seule chance d’influer maintenant sur les choix écologiques de ces États en plein boom économique est dans la mise au point, au plus vite, de systèmes de remplacement propres. Notre technologie le permet sans aucun doute lorsque l’on voit ce que le militaire est à même de faire et les sommes qui s’y engloutissent, la preuve par l’absurde que les moyens existent. Reste aux gouvernants à l’imposer. En ont-ils la possibilité face aux lobbies et aux multinationales ? Là est la vraie question, je crois. En tant que citoyens des démocraties, nous avons donc, à notre niveau, notre mot - notre bulletin plutôt - à glisser dans le débat. » (4)
Sur quoi Chartrand a conclu :
« ... Cette poursuite du développement sous toutes les latitudes est une catastrophe. Une pure catastrophe. Il y a longtemps que nous aurions dû redéfinir le concept de "développement". » (4)
Edward Burtynsky ou comment un homme peut mettre son art - immense - au service de la cause absolument prioritaire de la protection de l’environnement et susciter le débat qui doit impérativement voir le jour.
- Billet de Jean-Louis MILLET
(1) Edward Burtynsky (Photographics Works) ;
(2) Jennifer Baichwal - Northern Stars ;
(3) Manufactured Landscapes, voir aussi Paysages Fabriqués (Manufactured Landscapes) (2006) de Jennifer Baichwal ;
(4) Conversation virtuelle (courriels) entre Chartrand Saint-Louis et Jean-Louis Millet (en date du 8 octobre 2007) ;
(5) Zen évasion (26 novembre 2005).
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