vendredi 7 janvier 2011

Le soleil des Scorta (Laurent Gaudé)

J’ai eu envie de lire un roman dont l’auteur a remporté le prix Goncourt. Alors, en parcourant le Web, je suis tombé sur un site consacré aux prix littéraires qui fournit, entre autres choses, la liste de tous les romans primés au Goncourt depuis 1903. Un peu par hasard, mon choix s’est arrêté sur ce roman de Laurent Gaudé, un auteur qui m’était inconnu jusqu’à ce jour.

Le soleil des Scorta est un roman tellurique, un roman dont les personnages sont fortement attachés à la terre, en l’occurrence au village de Montepuccio en Italie du sud. Il s’agit d’une saga familiale, une saga qui ne ressemble pas pourtant aux sagas familiales dont nous ont habitués des auteurs français comme Max Gallo avec, par exemple, sa trilogie de La Baie des anges (Laffont, 1975). Non, dans sa saga, Laurent Gaudé va à l’essentiel, empruntant davantage le style du nouvelliste que celui du romancier.

L’histoire débute vers 1870 dans ce petit village de la côte de Pouilles où le premier Scorta, né d’un vaurien et d’une mère décédée en couche, va grandir en semant la terreur dans la région. À la fin de sa vie, riche et respectée, il lèguera tout à l’église du village, laissant sa fille et ses deux fils dans le dénuement. Ceux-ci devront repartir de zéro, comme son père l’a fait avant eux. Après une tentative d’immigration ratée à New York, les enfants reviennent à Montepuccio pour s’y établir. Ils trimeront dur jusqu’à ce qu’ils puissent ouvrir une tabagie. Mariés, le clan s’agrandira grâce aux enfants qui naissent de leurs unions.

Dans un style sobre et dépouillé, l’auteur recourt à la narration omnisciente pour raconter l’histoire des Scorta. Pour rompre un peu le côté statique du style, il a la bonne idée de clore chacun des dix chapitres du récit par la confession de Carmela, fille de Rocco, le premier des Scorta, et mère d’Elia, le dernier de la lignée à s’exprimer sur le chemin parcouru par cette famille qui, au cours des cent vingt années que compte son histoire, a vaincu la faim, la misère et, surtout, la malédiction qui pesait sur elle. À la fin du récit, Anna, fille d’Elia, décide de quitter Montepuccio pour étudier la médecine à Bologne tout en ayant conscience que le sang des Scorta coule en elle. L’histoire, toutefois, ne dit pas si elle reviendra au village ses études terminées.

Pour aimer ce livre, le mot « racine » doit avoir une résonance positive pour vous, de même que le mot « clan » qui demeure la clé de voûte de ce roman dans lequel la terre, le soleil et les humains finissent par fusionner pour arborer les traits d’un personnage à part entière. Si, comme moi, vous venez de la ville, qu’au concept de racine vous préférez celui d’origine, et que votre monde dépasse celui que constituent votre mère, vos frères et sœurs et vos oncles, alors peut-être que vous lirez ce roman en diagonale, sans trop y croire. Il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’un bon roman et qu’il s’est trouvé 80 000 lecteurs pour le lire, ce qui atténue considérablement la portée négative de cette critique. Néanmoins, en décrivant la vie des Scorta, l’auteur donne l’impression que la vie d’un homme ou d’une femme se réduit à quelques données factuelles. Ce n’est peut-être qu’une impression, souvent fausse comme la plupart des impressions. Cela dit, rien ne m’empêche de penser que des valeurs comme la terre et le sang, en ce siècle de migrations internationales, ne peuvent justifier une existence. En voulant trop aller à l’essentiel, on risque de passer à côté de quelque chose. La vie, sans doute.

Né le 6 juillet 1972, Laurent Gaudé vit à Paris. Diplômé d’études littéraires, il consacre son temps à l’écriture de pièces de théâtre dont certaines sont jouées, notamment en France et en Allemagne. Il a écrit trois romans - Cris (2001), La Mort du roi Tsongor (2002) et Le Soleil des Scorta (2004) - tous publiés chez Actes Sud.

– Compte rendu de Daniel Ducharme